À travers cet entretien, Thich Nhat Hanh nous partage ses précieuses compréhensions et ses conseils de sagesse sur l’art de consacrer notre temps libre à nous ressourcer (“nous autres, humains, avons perdu la sagesse de l’art du repos et de la détente” commente-t-il). Le Maître Zen nous explique comment même le plus occupé des Membres du Congrès américain peut recourir à la marche méditative durant le trajet qui le mène à la salle de votes, et ainsi faire retomber le stress et clarifier son esprit. Il nous fait également part de ses inquiétudes concernant l’impact de la technologie dans notre société et sa foi en l’action de la méditation et de la pleine conscience pour contribuer à un monde et un ‘soi’ plus pacifiques.
Quels effets voyez-vous sur votre vie quotidienne concernant les pratiques de relaxation et de méditation ?
Thich Nhat Hanh: Comme le confirment désormais les études scientifiques modernes, le pouvoir thérapeutique de la méditation est considérable. Les pratiques de la respiration consciente, de la méditation assise et de la marche méditative permettent de réduire les tensions, tant pour le corps que l’esprit. Si nous nous accordons l’occasion de relâcher les tensions en nous, nous permettons alors aux capacités naturelles de notre corps d’entamer son travail de guérison. C’est quelque chose que connaissent très bien les animaux qui vivent dans la forêt ; quand ils sont blessés, malades ou trop fatigués, ils savent toujours ce qu’il convient de faire. Ils recherchent un lieu tranquille et ils s’allongent pour se reposer. Ils ne se mettent plus en chasse de nourriture ou d’autres animaux, ils se contentent de se reposer. Et après quelques jours de repos au calme, ils se sentent guéris et peuvent reprendre leurs activités.
Nous autres, les humains, nous avons perdu la sagesse du véritable repos, de la vraie relaxation. Nous nous faisons trop de soucis. Nous ne permettons pas à notre corps de se guérir ; nous n’offrons pas non plus la possibilité à notre esprit et notre coeur de se guérir. Par la méditation, nous pouvons embrasser nos inquiétudes, notre peur, notre colère et c’est très guérissant. Nous pouvons laisser oeuvrer notre capacité naturelle de guérison.
La relaxation totale est un bon secret pour véritablement apprécier l’assise méditative. Je m’assieds en gardant la colonne bien droite, mais jamais rigide, et je détends tous les muscles de mon corps. En inspirant, je porte toute mon attention à une partie de mon corps puis, en expirant, je souris avec gratitude et amour à cette partie du corps. Je peux par exemple offrir mon attention à mon visage. Mon visage abrite quelque 300 muscles or, dès que je suis inquiet, en colère ou triste, ces 300 muscles se durcissent et toute personne qui me regarde pourra percevoir à quel point je suis tendu. À l’inverse, si je prends conscience de mon visage durant l’inspiration et que je lui souris lorsque j’expire, alors la tension pourra immédiatement se dissiper. C’est presque miraculeux. Quelques respirations peuvent suffire à m’apporter une sensation de paix, de bonheur et de détente sur le visage. Notre visage se fait plus léger, frais, tel la fleur qu’il était avant ; chaque visage est une fleur !
Après avoir pratiqué trois ou quatre fois avec la phrase “j’inspire et je prends conscience de mon visage, j’expire et je souris à mon visage”, nous pouvons prêter attention de la même façon aux muscles de nos épaules car elles sont souvent très tendues. “Lorsque j’inspire, je prends conscience des muscles de mes épaules et lorsque j’expire, je détends mes épaules et je leur souris”. Et nous pouvons progressivement poursuivre avec toutes les autres parties du corps : quelques minutes suffiront à retrouver un juste équilibre et à ramener détente et légèreté au corps.
C’est quelque chose que nous pouvons tous faire durant les premières minutes de notre assise. Mais nous ne devons pas nécessairement attendre d’être dans à la salle de méditation ; où que nous soyons, nous pouvons nous asseoir avec beauté, comme dans la salle de méditation. En pratiquant ainsi, nous nous sentirons stables et libres. Quand nous nous asseyons pour prendre notre repas ou accomplir des démarches administratives, notre posture est à la fois droite et détendue. Nous pouvons nous asseoir comme le Bouddha.
Je sais que certains membres du Congrès pratiquent la marche méditative au Capitole. L’un d’eux a même partagé qu’il pratique toujours la marche méditative sur le trajet qui le mène à la salle de vote, accordant une pause complète à ses pensées. Son bureau est très animé ; chaque jour, il doit répondre à d’innombrables questions et traiter de très nombreux dossiers. Le moment où il se rend au vote est donc le seul de la journée où il peut véritablement arrêter ses pensées et s’accorder du répit. Il concentre son esprit entièrement sur sa respiration et ses pas, cessant toute pensée. Il explique que cela lui procure une aide considérable pour survivre à la vie trépidante qu’est celle d’un Membre du Congrès.
Il est essentiel que nous réapprenions l’art du repos et de la détente. Outre la prévention de nombreuses maladies liées aux tracas et tensions chroniques, l’arrêt nous permet de clarifier notre esprit, développe notre concentration et aide à trouver des solutions créatives à nos problèmes.
Tout ce que nous entreprenons portera davantage de fruits si nous parvenons à abandonner notre habitude de sans cesse courir et si nous nous accordons de courtes pauses pour favoriser la détente et le recentrage. Nous ressentirons également bien plus de joie de vivre !
MS: Quels sont, selon vous, les effets sur les personnes qui ont l’impression de se détendre à travers les outils électroniques, tels que l’ordinateur, la télévision, le tweet ?
TNH: Cela me rappelle ce que j’ai pu observer auprès de personnes qui se rendent en vacances. En principe, l’objectif des vacances, c’est d’avoir du temps pour se reposer. Or, beaucoup d’entre nous ignorent comment se reposer, même en vacances. Il est possible que nous en revenions même plus fatigués qu’avant de partir. Pourquoi cela ?
La relaxation est essentielle à notre bien-être physique, mental, émotionnel et relationnel. Ceci est si important que j’encourage tous nos chers lecteurs à en faire l’expérience par eux-mêmes, observant avant et après toute activité de loisir et détente comment ils se sentent. Nous sentons-nous véritablement mieux et plus détendus au terme de cette activité qu’avant de l’entreprendre ? Nous pouvons ensuite faire la même expérience avec la méditation assise, la marche méditative ou la relaxation totale. Observons comment nous nous sentons après ces pratiques.
MS: Bien souvent, quand nous nous sentons détendus, notre esprit est très agité. Comment prendre conscience de cette tendance et éviter que notre mental ne prenne le dessus ?
TNH: La clé c’est de prendre conscience des activités de notre esprit. Tout commence par lui. Dans les différents Centres du Village des Pruniers, nous avons l’habitude de recentrer notre esprit en nous arrêtant quand nous entendons le son de la cloche du monastère, cessant nos conversations, nos pensées et notre dispersion. Nous revenons à notre respiration, à l’ici et maintenant, et nous reprenons contact avec ce qui se déroule dans notre esprit et notre corps. Nous redevenons vivants et réels. Nous ne sommes plus ces robots qui courent partout sans conscience. Nous savons que faire, ou ne pas faire, en ce moment précis. Si, par exemple, nous sommes sur le point de manger quelque chose qui n’est pas bon pour nous, la cloche nous offre une deuxième chance de marquer une pause et de réévaluer notre choix. Si nous ne cessons de penser à l’irritation que nous ressentons vis-à-vis d’une autre personne, nous avons l’occasion de nous arrêter, prendre conscience de nos émotions et examiner la situation en profondeur afin de trouver une façon plus efficace de la gérer.
MS: Les gens disent souvent qu’ils sont trop occupés pour se détendre. Avez-vous des techniques simples à leur proposer ?
TNH: Nous n’avons pas besoin de programmer un séjour au monastère pour bénéficier des bienfaits d’un arrêt lors des cloches de pleine conscience. Nous pouvons utiliser de nombreux événements “ordinaires” de notre vie quotidienne pour revenir à nous-mêmes et au moment présent. Prenons l’exemple de la sonnerie du téléphone : beaucoup de mes étudiants s’arrêtent pour inspirer et expirer en pleine conscience trois fois avant de décrocher le téléphone, afin d’être pleinement présents à eux-mêmes et à la personne qui les appelle. Ou bien lorsque nous conduisons : un feu rouge peut se révéler être un merveilleux ami qui nous rappelle de nous arrêter, nous détendre, nous libérer de schémas de pensée décourageants et sentir plus d’espace à l’intérieur. Prendre cinq minutes pour jouer avec des enfants ou des animaux, se promener à l’extérieur et contempler les nuages ou les fleurs sauvages, profiter de notre respiration – nous pouvons déjà relâcher beaucoup de tensions, nous détendre et nous rafraîchir. Vous pouvez identifier vos cloches de conscience préférées et les laisser vous rappeler l’importance de profiter de la vie !
Je viens justement de terminer la rédaction d’un livre, actuellement en cours d’édition, qui traite précisément de ce sujet. Le titre que j’ai suggéré est “Pratique de la méditation à chaque instant: Petit guide pour nos vies trop occupées”, paru en 2011.
MS: Que pensez-vous de tous ces enfants qui grandissent en étant de plus en plus dépendants de l’électronique ?
TNH: Un grand nombre d’études scientifiques en soulignent clairement les dangers.
J’ai pu constater que l’un des plus grands inconvénients de la dépendance électronique (prendre refuge dans cet outil afin de se distraire, de se sentir ‘bien’) est que, au bout du compte, nous finissons par ne pas nous sentir plus heureux, mais en réalité beaucoup plus mal.
Quand nous en faisons bon usage, avec conscience, l’électronique peut être un outil très constructif ; or, bien souvent, nous recourons aux moyens électroniques pour nous distraire de sensations désagréables, qu’il s’agisse d’anxiété, dépression, colère, solitude ou de l’ennui. Nous faisons appel à tous ces media car nous espérons masquer nos sensations douloureuses, nous cherchons à combler une impression de vide dans nos vies.
Mais lorsque nous prenons l’habitude de fuir ce qui se passe en nous et dans nos relations, nous finissons par nous sentir encore plus éloignés et tristes. Beaucoup d’émissions de télévision, de musique et de jeux peuvent être très toxiques, semant en nous les graines du désir, de la peur et de la violence. Bien sûr, la vie et les relations peuvent présenter des défis par moments, mais plus nous comptons sur l’électronique (tout comme pour les drogues ou l’alimentation inconsidérée) pour nous engourdir face à ce qui se passe, plus nos problèmes persistent et prolifèrent.
Ça ne veut pas dire pour autant que nous devrions rester assis à ruminer nos problèmes. La méditation – s’asseoir tranquillement, calmer les activités de notre corps et de notre esprit, et savourer la sensation de vitalité que nous procure l’inspiration et l’expiration – est le moyen le plus efficace de se vider l’esprit et de faire une sorte de percée dans les endroits où nous nous sentons bloqués.
MS: Quel serait selon vous l’effet sur notre société si un plus grand pourcentage de personnes consacrait véritablement du temps à la méditation et/ou à la relaxation ?
TNH: Il est évident qu’il y a trop de violence, de pauvreté et de souffrance autour de nous ; mais nous pensons que nous sommes trop petits et impuissants pour faire la moindre différence dans ces domaines. Il se peut qu’il y ait de la souffrance dans notre propre famille ; peut-être qu’un membre de la famille souffre au point de se retrouver un jour dans une situation désespérée de toxicomanie ou de crime violent. Nous nous disons que nous ne savons pas comment aider cette personne, et que nous avons déjà beaucoup à faire dans notre propre vie.
En fait, qu’est-ce qui nous occupe autant ? Pour beaucoup d’entre nous, il s’agit de travailler pour financer le diplôme convoité, la nouvelle voiture, la grande maison, les vacances exotiques. Il suffit pourtant de prendre le temps de se détendre et de méditer, et d’éteindre le rythme incessant des publicités que nous invitons chez nous, pour constater que nous n’avons pas besoin de grand-chose pour être heureux. Nous avons déjà suffisamment de conditions pour être heureux, et elles ne nous coûtent rien du tout. Prenons nos yeux, par exemple. Nos yeux sont un miracle, ils sont comme une paire de bijoux. Il nous suffit de les ouvrir pour découvrir le ciel bleu, les nuages blancs duveteux, les fleurs magnifiques, les visages de ceux que nous aimons. Ou bien nos oreilles : à tout moment, nous pouvons écouter une musique inspirante, le chant des oiseaux, le murmure d’un ruisseau, le vent sifflant dans les pins. Ce sont des merveilles de la vie, qui nous sont accessibles à tout moment, grâce à nos yeux et à nos oreilles. Notre corps est encore en bonne santé, nos jambes sont en pleine forme, et ce sont des merveilles de notre propre corps.
Sommes-nous capables de nous épanouir dans ces joies gratuites et vivre plus simplement, afin d’avoir le temps d’écouter profondément nos proches ou d’écrire une lettre à notre responsable politique ? Lorsque nous nous réveillons, que nous prenons davantage conscience de ce qui se passe et que nous voyons ce que nous devons véritablement faire (et ne pas faire), cela peut facilement entraîner des changements majeurs dans notre vie personnelle mais aussi dans toute notre société. En fait, je ne sais pas s’il existe autre chose qui le puisse.
Un corps et un esprit détendus réduisent le risque de parler ou d’agir de manière violente. Nous pouvons également accéder à de nombreuses compréhensions et à une source d’énergie que nous n’avons pas connue depuis l’enfance. Tout au long de l’histoire, des femmes et des hommes ont accompli des choses apparemment impossibles. En vérité, il n’y a pas de limite aux changements positifs que nous pouvons apporter grâce à la méditation consciente, tant pour nous-mêmes que pour notre société. Nous devons simplement commencer, là où nous sommes, ici et maintenant.
MS: Comment pouvons-nous trouver le juste équilibre entre notre engagement dans le monde et notre vie intérieure ?
TNH: Nous devons être disposés à remettre en question la croyance selon laquelle le temps consacré à la relaxation et à la méditation nous empêche d’atteindre d’autres objectifs, tels qu’une carrière ou des relations fructueuses. Selon ma propre expérience et celle de mes étudiants, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le temps que nous accordons à la méditation bénéficie d’office aux autres domaines de notre vie. Prenons l’exemple de notre vie professionnelle : une idée vraiment innovante peut faire une énorme différence dans nos résultats, que nous vendions des aspirateurs, que nous rédigions des dossiers juridiques ou que nous réduisions les congés de maladie. Dans nos relations, tant au travail qu’à la maison, une présence détendue, ouverte et alerte nous permettra de nous abstenir de prononcer les mots enflammés qui nous viennent d’abord à l’esprit lorsque nous sommes en colère.
Les relations sont comparables à une forêt : il faut beaucoup de temps pour établir des liens de confiance solides, alors qu’un acte ou une remarque irréfléchis pourront voir l’impact d’une allumette enflammée qui détruit tout. Ceux d’entre nous qui pratiquent ont très clairement observé que la méditation et la relaxation sont les moyens les plus efficaces de promouvoir une pensée créative et innovante, des choix intelligents, la réussite et la satisfaction dans tous les domaines de notre vie.
Pour plus d’informations sur Thich Nhat Hanh, nous vous encourageons à visiter le site francophone du Village des Pruniers https://dev.plumvillage.org/fr/
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