“Seul l’amour peut sauver notre planète”

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Un leader spirituel nous avertit : si les gens ne savent mettre fin à leurs propres souffrances, comment s’attendre à ce qu’ils s’intéressent au sort de notre planète …

TRADUCTION de l’Anglais – Article paru le lundi 21 janvier 2013 dans The Guardian (UK)
Par Jo Confino.

Le maître Zen Thich Nhat Hanh, un des maîtres spirituels les plus influents dans le monde, est un homme qui reste paisible, même lorsqu’il annonce l’effondrement possible de notre civilisation comme résultat du changement climatique dans moins d’un siècle. Ce moine vietnamien de 86 ans, qui a des centaines de milliers de disciples dans le monde entier pense que si la plupart des gens ne réagissent à la menace du réchauffement global, malgré les preuves scientifiques accablantes, c’est qu’ils ne sont pas capables de prendre soin de leur propre souffrance, et donc encore moins de celle de la Terre Mère.

Thay, comme on l’appelle familièrement, dit qu’il est possible d’être paisible si l’on dépasse notre réalité fallacieuse, qui est fondée sur les idées de naissance et de mort, afin de toucher la dimension ultime, selon les enseignements bouddhistes, dans laquelle rien ne peut ni être créé, ni détruit.

En reconnaissant l’interconnexion entre toutes les formes de vie, nous pouvons dépasser l’idée que nous sommes des individus séparés et étendre notre compassion et notre amour de façon à agir pour protéger la Terre.

Dépasser la peur

Dans son livre, La Peur, il raconte comment la plupart des gens passent leur vie à avoir peur de tomber malade, de vieillir et de perdre ce qui est le plus précieux à leurs yeux, malgré le fait, évident, qu’un jour il faudra bien que cela arrive.

Quand nous comprenons que nous sommes plus que notre corps physique, que nous ne venons pas du néant et que nous en retournerons pas au néant, nous sommes libres de la peur, dit-il. L’absence de peur n’est pas seulement possible, c’est aussi la joie ultime.

« Notre perception du temps peut nous aider », m’a confié Thay dans sa modeste demeure du Village des Pruniers, son monastère, près de Bordeaux. « Pour nous, c’est un problème alarmant et urgent, mais pour notre Terre Mère, si elle souffre, elle sait qu’elle a le pouvoir de se guérir, même si cela prend des centaines de millions d’années. Nous pensons que notre temps sur terre ne dure que 100 ans, et c’est pour cela que nous sommes impatients. Le karma collectif et l’ignorance de notre espèce, la colère collective et la violence nous mène à notre destruction et nous devons apprendre à accepter cela.

Notre Terre Mère va peut-être engendrer un grand être au cours de la prochaine décennie. Nous ne savons pas et nous pouvons rien prédire. La Terre Mère a beaucoup de talent. Elle a déjà engendré des Bouddhas, des Boddhisattvas, des grands êtres. Alors, nous pouvons prendre refuge en elle et lui demander de nous guérir, de nous aider. Nous devons aussi accepter que le pire puisse arriver, que la plupart d’entre nous meurent en tant qu’espèce et que de nombreuses autres espèces meurent aussi. La Terre Mère sera capable après quelques millions d’années peut-être de nous faire revenir et cette fois, dotés de plus de sagesse.

Regarder la vérité en face

Thay pense que notre quête de célébrite, de richesse, de pouvoir et de gratifications sexuelles fournit un refuge parfait à ceux qui veulent fuir la réalité des nombreux défis qui attendent notre temps. Pire encore, notre addiction aux biens matériels et à un mode de vie chaotique fournit un pansement temporaire à appliquer sur les plaies émotionnelles et spirituelles et ne provoque que de plus amples sentiments de solitude et de tristesse.

Thay, qui vient de célébrer son 70ème anniversaire d’ordinnation, réfléchit aux causes de l’inaction face à la destruction des écosystèmes et à la diminution rapide de la biodiversité.

« Quand ils verront la réalité, il sera trop tard pour agir…Mais ils ne veulent pas se réveiller car cela risquerait de les faire souffrir. Ils ne peuvent pas regarder la vérité en face. Ce n’est pas qu’ils ne savent pas ce qui va se produire. Ils veulent juste ne pas y penser.

Ils veulent se divertir pour oublier. Nous ne devrions pas parler en terme de ce qu’ils devraient faire ou pas faire pour l’avenir. Nous devrions leur parler de façon à toucher leur cœur, à les aider à s’engager sur le chemin qui les mènera au bonheur véritable, sur le chemin de la compréhension et de l’amour. Quand ils auront goûté un peu de paix et d’amour, ils se réveilleront peut-être. »

Thay a créé le mouvement du Bouddhisme engagé, lequel promeut le rôle actif de chaque individu dans le changement global, et les 5 Entraînements à la Pleine Conscience (une charte de vie éthique) appellent les pratiquants à boycotter les produits qui endommagent l’environnement et à faire face à l’injustice sociale. Etant la difficulté de convaincre les plus nantis à changer leurs habitudes, Thay prône un mouvement partant de la base, le déclarant nécessaire en faisant référence à la technique utilisée par Gandhi. Mais il souligne aussi le fait que, pour être efficace, les activistes doivent commencer par affronter leur propre colère et leurs propres peurs, au lieu de les projeter sur ceux qu’ils considérent « coupables ».

Des consommateurs éveillés peuvent influencer la manière d’agir des grandes compagnies.

Des sociétés qui fabriquent des produits toxiques, il dit : « Elles ne devraient pas continuer à produire ces choses. Nous n’en avons pas besoin. Nous avons besoin d’autre chose, qui nous aiderait à être en meilleur santé. Si dans le camp de consommateurs certains sont conscients, alors les producteurs devront changer. Nous pouvons les obliger à changer en n’achetant pas.

Gandhi a su presser son peuple à boycotter un certain nombre de marchandises. Il savait prendre soin de lui au cours des actions non-violentes. Il savait préserver son énergie parce que la lutte était longue et donc la pratique spirituelle nécessaire dans cette tentative de changer la société. »

Thay, auteur de plus de 100 livres, dont le best seller, Le Miracle de la Pleine Conscience, dit que quand ceux qui tiennent les règnes du pouvoir ont du mal à dénoncer le caractère destructeur du modèle économique courant, de peur d’être ostracisé et ridiculisé, nous avons besoin de plus de leaders pour avoir le courage de défier l’état des choses en place.

Pour que des leaders politiques et économiques fassent cela, ils doivent nourrir la compassion de façon à pouvoir embrasser et diminuer leur égo. Thay ajoute : « Vous avez le courage de dénoncer la situation parce que la compassion est une énergie puissante. Grâce à elle, vous pouvez mourir pour les autres, comme une mère meurt pour son enfant. Vous avez le courage de parler parce que vous n’avez pas peur de perdre quoi que ce soit, parce que vous savez que la compréhension et l’amour sont les fondements du bonheur. Mais si vous avez peur de perdre votre statut, votre position, vous n’aurez pas le courage d’agir.

Un moment de contemplation

Alors que la plupart des gens sont désorientés par la complexité de leurs vies et par l’immense éventail de choix offert par notre société de consommation, les retraites de Thay propose une alternative profondément simple.

Pendant toute la retraite des pluies, qui dure trois mois, Thay enseigne inlassablement aux centaines de moines, moniales et pratiquants laïques les moyens d’arrêter le bruit de fond incessant de leurs pensées et de se concentrer sur le cœur de la pleine conscience : la joie de respirer, de marcher, de contempler le moment présent.

Plutôt que de chercher des réponses à la vie dans l’étude de la philosophie ou de rechercher des expériences riches en décharges d’adrénaline, Thay suggère que le bonheur véritable peut être trouvé en touchant le sacré dans l’expérience même de la vie quotidienne, que nous méprisons largement.

Combien de fois apprécions nous réellement le dur labeur de notre cœur qui bat nuit et jour pour nous maintenir en vie ? Il suggère qu’il est possible de découvrir des vérités profondes en se concentrant sur des choses aussi simples que manger une carotte, si vous le faites en considérant que ce légume ne peut exister que grâce à l’univers tout entier.

« Si vous entrez vraiment en contact avec un morceau de carotte, vous entrez en contact avec la terre, la pluie, le soleil. Vous entrez en contact avec la Terre Mère et en mangeant de cette manière, vous vous sentez relié avec la vie véritable, avec vos racines, et c’est la méditation. Si vous mâchez chaque morceau de nourriture comme ça, vous allez ressentir de la gratitude et la gratitude vous rendra heureux. »

Bien qu’il ait médité chaque jour depuis 70 ans, Thay croit qu’il lui reste beaucoup à apprendre. « Dans le Bouddhisme, on parle de l’amour comme de quelque chose d’illimité. Les quatre éléments de l’amour, c’est à dire la bienveillance, la compassion, la joie et l’équanimité, n’ont pas de frontières.

C’est la pensée du Bouddha. Ses disciples l’appellent le « parfait » pace qu’ils l’aiment, mais la vérité, c’est qu’on ne peut jamais être parfait. Nous n’avons pas besoin d’être parfait. C’est une bonne chose à savoir. Si vous faites des progrés chaque jour, un peu plus de joie et de paix, ça suffit pour que Thay continue à pratiquer et à approfondir sa compréhension, jour après jour.

Il n’y a pas de limite à la pratique. Et je pense que c’est vrai aussi de l’espèce humaine. Nous pouvons continuer à apprendre, génération après génération. Maintenant, il est temps d’apprendre à aimer sans discrimination parce que nous sommes une espèce qui a assez dintelligence mais pas assez d’amour.

Thich Nhat Hanh : une vie éloignée des projecteurs

On compare souvent Thay au Dalai Lama, mais Thay mène principalement sa vie en dehors des regards du public, vivant comme un simple moine. Il a évité le piège qui consiste à être entouré de célébrités et n’accorde des entretiens qu’à des journalistes qui ont au préalable médité avec lui, partant du principe que la pleine conscience doit être vécue comme expérience plutôt qu’être décrite.

Pourtant Thay a aussi mené une vie extraordinaire, dont la nomination au prix Nobel de la paix par Martin Luther King en 1967 pour ses efforts visant à mettre fin à la guerre du Vietnam. Dans lettre de nomination, Docteur King écrit « Je ne connais personne qui soit plus digne de ce prix que ce moine Vietnamien empreint de douceur. Ses idées pour la paix, si elles étaient appliquées, bâtiraient un monument en faveur de l’oecuménisme, de la fraternité universelle et de l’humanité. »

Thay a fondé le Village des pruniers il y a trente ans, après avoir été exilé de sa terre natale et depuis il y a ajouté d’autres monastères en Thaïlande, à Hong Kong et aux Etats-Unis, ainsi qu’un Institut Bouddhiste en Allemagne. Il a poursuivi sa tâche à la recherche de solutions pacifiques pour résoudre les conflits dans le monde, dont plusieurs retraites réunissant des Israéliens et des Palestiniens.

En 2009, le conflit a surgi dans sa propre existence quand les autorités Vietnamiennes ont fermé le monastère de Bat Nha après une campagne de harcèlement et de violence. Selon Thay, cet événement, qui a soulevé des protestations en Europe et dans d’autres pays, pourrait avoir été manigancé par les Chinois, après qu’il ait publiquement soutenu la cause du peuple Tibétain. Les quelques 400 moines et moniales qui résidaient à Bat Nha sont dispersés mais ils continuent à pratiquer discrètement à l’intérieur du pays.

The Guardian, ayant publié des câbles émanant de l’ambassade américaine, souligne la consternation créée par la situation. Dans un câble confidentiel, on peut lire « la façon déplorable dont le Vietnam a agi avec la communauté du Village des Pruniers à Bat Nha et avec la paroisse catholique de Don Chiem la semaine dernière, et en particulier, l’usage excessif de violences démontre que le gouvernement ne respecte pas les droits de l’homme. 

Despite all his achievements, including a recent stint as guest editor at the Times of India, Thay is modest when he looks back at his life.

Malgré ces accomplissements, dont l’invitation comme éditeur au Times Indien, Thay reste modeste en regardant sa vie.

« Nous n’avons pas accompli grand chose, à part générer un peu de paix intérieure et de contentement, ce qui est déjà beaucoup. Les moments les plus heureux, ce sont ceux où nous nous asseyons et nous sentons la présence de nos frères et sœurs, laïques et monastiques, en train de pratiquer la méditation assise ou marchée. C’est ce que j’ai accompli de plus important, le reste, comme les livres que j’ai écrit ou l’institut Bouddhique que j’ai fondé en Allemagne, ce n’est pas important.

Ce qui est important, c’est d’avoir une sangha, une communauté. Cette compréhension vient de ce que le Bouddha de notre ère ne sera pleut-être pas un individu mais une sangha. Si chaque jour, vous pratiquez la méditation assise et la méditation marchée, si vous générez l’énergie de la Pleine conscience, de la concentration et de la paix, vous êtes une cellule du corps du Bouddha à venir. Ce n’est pas un rêve, c’est possible, aujourd’hui et demain. Le Bouddha n’est pas éloigné, il est présent dans l’ici et le maintenant. »

Même si Thay est encore en bonne santé et si son esprit est toujours aussi vif, il ne rajeunit pas et risque de devoir bientôt ralentir le rythme de ses voyage à travers le monde pour diriger des retraites afin de transmettre ses enseignements. Cette année, il a parcouru les Etats Unis et l’Asie, peut-être son dernier grand voyage à l’étranger.

Etant donné sa croyance en l’absence de naissance et de mort, comment appréhende-t-il son propre décès ?

« Il est très clair que Thay ne va pas mourir mais qu’il va se continuer dans d’autres personnes. Donc il n’y a rien de perdu et nous sommes heureux à l’idée d’aider le Bouddha à renouveler ses enseignements. Il est très mal compris par beaucoup de gens, alors nous essayons de rendre son enseignement assez simple et accessible pour que tout le monde puisse faire bon usage de la pratique comme des enseignements. »

Tout en soulevant une tasse de thé, il ajoute : « Je suis déjà mort de nombreuses fois. On meurt à chaque instant et on revit à chaque instant. C’est notre façon de nous préparer. C’est comme ce thé. Vous versez l’eau chaude sur le thé, vous buvez une première fois, puis vous versez plus d’eau chaude et vous buvez à nouveau, et après toute la saveur du thé est passée dans l’eau que vous avez bu. Les feuilles sont toujours dans la théière mais la saveur a disparu et si vous dîtes que les feuilles sont mortes, ce n’est pas juste. Elles continuent à vivre dans la saveur du thé. Ce corps matériel n’est qu’un résidu.

Peut-être que les feuilles peuvent encore offrir un peu de goût, mais bientôt, la saveur du thé aura disparu et ce ne sera pas la mort. Et même si le thé part, vous pouvez mettre les feuilles dans un pot de fleurs où elles vont nourrir la plante et ainsi continuer à être utiles. Il faut regarder la naissance et la mort de la même façon. Quand je regarde de jeunes moines et moniales et des personnes laïques, pratiquer ensemble, je regarde la continuation du Bouddha, ma propre continuation.

Averti par une lettre que quelqu’un avait construit un temple à Hanoï pour commémorer son existence, Thay a envoyé une lettre au temple Tu Hieu où il a été formé comme novice, exprimant clairement sa volonté de ne pas avoir de sanctuaire bâti en son honneur après sa mort : «  Ne gaspillez pas la terre du temple à me construire un stupa. Ne me mettez pas dans une petite boîte pour la déposer dans ce sanctuaire. Je ne veux pas terminer de cette façon. Ce serait mieux de répandre les cendres au dehors, pour aider les arbres à pousser. C’est une méditation. »

Il ajoute : » Je recommande qu’on grave une inscription à l’extérieur, à l’entrée « Je ne suis pas ici ». Et si les gens ne comprennent pas, vous ajouterez une deuxième inscription «  Je ne suis pas là non plus ». Et s’ils ne comprennent toujours pas, gravez en une troisième et dernière « On peut peut-être me trouver dans votre façon de respirer ou de marcher. »


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Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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